Il y a un an ces jours-ci Lucien Bouchard et ses accolytes de toutes les sphères d'activité lançaient un cri d'alarme sous le couvert d'un manifeste intitulé "Pour un Québec lucide". Hier, dans le Journal de Montréal, Joseph Facal, signataire de ce manifeste, a pondu un article très intéressant sur la question :
http://www.canoe.com/infos/chroniques/josephfacal/archives/2006/10/20061018-223436.html
Joseph Facal
Le choc des idées
Il y a un an, presque jour pour jour, Lucien Bouchard et 11 autres personnes publiaient le manifeste Pour un Québec lucide. Où en sommes-nous aujourd'hui?
Nous avons voulu, l'an dernier, tirer sur la sonnette d'al-arme afin de provoquer un débat. Nous n'étions évidemment pas les premiers à essayer d'alerter nos compatriotes au tort que nous nous faisions en persistant à regarder la réalité avec des lunettes roses et en pensant que tout est toujours la faute des autres. Mais je pense que nous avons fait sortir pour de bon le génie de la lampe à huile et qu'il ne voudra plus y retourner.
À l'évidence, nous avons touché quelque chose de très profond chez les Québécois, que les professionnels du commentaire médiatique n'ont pas pleinement saisi sur le coup. Je ne compte plus le nombre de conférences et de débats auxquels nous avons participé. Mais nous avons reçu surtout une avalanche de messages de citoyens qui, souvent, nous disaient prendre la plume pour la première fois, parce qu'ils s'étaient sentis interpellés par le cri d'alarme que nous lancions, parce qu'ils sentaient eux aussi que nous préparions des jours difficiles à nos enfants si nous ne nous ressaisissions pas très vite.
Une fois que les choses se mettent à bouger, elles vont ensuite dans toutes les directions, et vous ne contrôlez plus rien. Toutes sortes de voix se sont élevées depuis pour déplorer un certain immobilisme, une complaisance et un aveuglement satisfaits au Québec. Il faut ici faire la part des choses: il est parfaitement absurde, par exemple, de faire du mouvement communautaire le principal responsable de ce piétinement. Mais il est maintenant admis qu'il nous faudra, d'une part, une croissance économique très vigoureuse pour simplement maintenir nos acquis et, d'autre part, qu'il faut mettre rapidement en place des mesures de solidarité entre les générations comme le remboursement de la dette.
Le vrai progrès
Quand le manifeste Pour un Québec solidaire a voulu répondre au nôtre, plusieurs personnes ont commodément campé ce débat en termes de gauche et de droite. L'une est évidemment gentille, généreuse et a le monopole du coeur. L'autre est évidemment cynique, affairiste, calculatrice et, bien entendu, mange dans la main du grand capital. Loin de moi l'idée de prétendre que les notions de gauche et de droite ne veulent plus rien dire. Je continue pour ma part à me dire social-démocrate. Mais on se rend peu à peu compte que le progrès réel n'est peut-être pas toujours du côté de ceux qui se prétendent les seuls vrais «progressistes».
Vouloir ne pas écraser les travailleurs de demain, nos enfants, sous un fardeau fiscal insoutenable, en reprenant dès aujourd'hui le contrôle de la dette, ce n'est pas une mesure de droite. C'est une mesure de solidarité entre les générations, donc une mesure authentiquement progressiste. Plus les tarifs des services publics sont gelés pendant longtemps, plus la hausse est brutale quand elle devient inévitable et affecte alors surtout les plus démunis. En quoi ce gel est «progressiste»?
Depuis ce temps, le gouvernement a mis sur pied le Fonds des générations. Le Parti québécois aussi se remet en question. Et les difficultés de Québec solidaire s'expliquent sans doute en partie par le fait que les Québécois comprennent mieux qu'il est simpliste de penser qu'il existe, du côté de la taxation des riches et des entreprises, des solutions faciles à nos difficultés.
Bref, de ce choc des idées naissent peu à peu des prises de conscience collectives, des clarifications salutaires, des passerelles aussi sur certains enjeux entre les diverses familles idéologiques. Mais il faut encore que nos dirigeants politiques, quels qu'ils soient, réussissent à harnacher, comme le courant d'une rivière, cette amorce d'un réveil pour en faire un véritable redressement collectif.