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La mort du «vrai gars»
Mario Girard
La Presse
Un million d’Américains ont lu avec intérêt le livre De vrais gars : sauvons nos fils des mythes de la masculinité, du psychologue William Pollack. Dans cet imposant pavé qui rassemble 20 années de recherche, ils y ont appris que le «vrai gars», capable d’encaisser tous les coups sans broncher, ne peut plus exister. En fait, William Pollack suggère sa mise à mort.
«Les garçons d’aujourd’hui sont prisonniers de vieux mythes, dit William Pollack, joint chez lui, au Massachusetts. Au fil du temps, des milliers de modèles masculins se sont accumulés pour se fondre en un seul grand stéréotype universel : celui de l’homme fort, solide et à toute épreuve. Or ce stéréotype ne tient plus la route.»
Selon William Pollack, l’écart entre la manière d’éduquer les garçons et nos attentes face aux adultes qu’ils deviennent crée une situation problématique. Voilà pourquoi ils en arrivent à vivre de la tristesse et un sentiment de déconnexion face à ce qui les entoure.
Ce chercheur de renom, qui sera de passage mercredi prochain à Montréal dans le cadre des Conférences La Presse/Radio-Canada, se sert du film C.R.A.Z.Y. pour illustrer son propos. «Dans l’une des premières scènes du film, on voit le jeune garçon s’habiller en fille et s’occuper d’un bébé. Son père, qui le surprend, devient furieux. Mais c’est le garçon qui a raison, c’est lui qui est normal. La société n’accepte pas les garçons qui expriment leurs émotions. Voilà le problème.»
L’homme nord-américain traîne avec lui des modèles et des stéréotypes qui datent du XIXe siècle, pense William Pollack. «Le code de masculinité place les hommes et les garçons dans une camisole de force qui les contraint ainsi que tous ceux qui les entourent.»
À cet égard, William Pollack cite une étude qui démontre à quel point les parents éduquent leur enfant avec une approche souvent préconçue. On a étudié le comportement de mères en compagnie de leur bébé. Quand les bébés filles manifestaient de la douleur, les mères réagissaient dans 22% des cas. Quand il s’agissait de bébés garçons, elles les ignoraient complètement. Pour calmer leur fils, beaucoup de mères, souvent sans vraiment s’en rendre compte, agissaient de manière à faire taire et à réprimer l’expression d’émotivité chez leur fils.
William Pollack, cofondateur de la Society for the Psychological Study of Men and Masculinity of The American Psychological Association, trouve que nous sommes devenus très exigeants à l’égard des garçons. On ne tolère plus d’hésitation de leur part ni la moindre plainte, encore moins leur hyperactivité (90% des enfants qui consomment du Ritalin sont des garçons).
De plus, ils connaissent l’épreuve de l’éloignement du noyau familial plus tôt que les filles. «Si nous forcions nos filles à se séparer de nous de cette façon, comme nous l’exigeons de nos fils avec si peu d’aide et de surveillance, nous nous attendrions à des résultats catastrophiques», écrit William Pollack.
Ces épreuves que vivent les garçons les forcent à devenir honteux de leur vulnérabilité. Ils apprennent à masquer leurs émotions, à souffrir d’isolement, d’impuissance et de crainte. Voilà les répercussions de cet «endurcissement» qu’on continue à leur imposer alors que les besoins sont nettement ailleurs.
«Ce que nous devons maintenant faire, c’est un tri dans ces vieux codes, dit M. Pollack. Nous devons garder le meilleur, la loyauté et le sens de la responsabilité, et nous débarrasser du pire, c’est-à-dire tout ce qui empêche l’homme de vivre ses émotions.»
Le psychologue est toutefois d’accord pour dire que les garçons et les filles ne doivent pas être élevés exactement de la même façon. «Mais sur le plan de l’affection et de l’amour, oui, très certainement», dit-il.
Quand William Pollack a entrepris ses recherches sur les garçons, il y a plusieurs années, il avait tenu pour acquis que les sociétés qui étaient en train de réviser leur conception des filles et des femmes allaient faire de même pour les garçons. Or, il s’est rendu compte que ce ne fut pas le cas. Il appartient maintenant aux parents et aux hommes de mettre un terme à ces vieux mythes de la masculinité.
«L’une des plus belles choses qui soit arrivée à l’homme est la révolution des femmes, dit William Pollack. Le féminisme a donné la permission aux hommes de changer. Plusieurs hommes ont peur du féminisme mais ils ne devraient pas.»
L’approche de William Pollack peut, en apparence, sentir le réchauffé. Au Québec, depuis plusieurs années, une réflexion a été amorcée sur la «nouvelle» manière d’élever les garçons. L’ouvrage du Dr Pollack a cependant l’avantage de traiter du sujet en profondeur en rassemblant un nombre impressionnant d’études sur les valeurs des garçons compilées au moment où William Pollack était codirecteur du Centre pour hommes du McLean Hospital/Harvard Medical School.
«Les jeunes hommes ont le sentiment d’être enfin compris, dit M. Pollack. Pour ce qui est des mères, qui étaient déchirées entre l’envie de retenir leur fils et celle de les repousser, elles comprennent plusieurs choses. Quant aux pères, ils me disent qu’ils ne veulent pas que leurs fils vivent ce qu’ils ont connu jeunes.»
Selon William Pollack, nous sommes maintenant prêts pour une nouvelle révolution des sexes. Il est temps que nous décrochions des principes erronés qui prétendent, par exemple, que les garçons sont biologiquement programmés pour agir d’une seule façon prétendument «masculine».
«Nous vivons un moment charnière, dit-il. Il y a une chance pour les hommes et ils doivent la saisir.»