- Citation :
- Si elle le fait par obligation économique si je peux aider je m'en melle.
Y a t'il une autre raison de se prostituer ?
- Citation :
- Il faudrait peut-être démystifier le vagin des femmes.
Ok si on démystifie le pénis ...
***
Un dernier texte ... Promis !
***
Choisir de se prostituer?
Rose Dufour, anthropologue
La prostitution offre-t-elle les conditions pour disposer librement de son corps? Pour un
proxénète, la prostitution est une simple opération commerciale dans un modèle
économique qui consomme des corps de femmes, d’enfants et de jeunes gens, comme
tout objet de consommation. Dans ce commerce, la femme se fait simple objet
d’assouvissement sexuel des hommes. Toute la prostitution, féminine et masculine, est au
service de ce désir. Dans le modèle légaliste, la prostitution est une question de droit.
Dans l’approche morale, c’est un vice. Dans le modèle féministe deux positions
s’affrontent : celle de la liberté absolue d’une femme de disposer à sa guise de son corps
et celle du refus de l’exploitation sexuelle. Dans ce débat, les femmes sont déchirées car
prendre position entraîne de s’opposer à d’autres femmes, ce qui engendre une sorte de
conflit de loyauté. Pour dépasser ce paradoxe qui nous enferme, il faut pouvoir
approfondir cette question fondamentale en s’appuyant sur des données solides,
vérifiables. C’est ce que j’ai tenté de faire en documentant comment des femmes en sont
venues à se prostituer, pourquoi des hommes deviennent clients et comment d’autres
proxénètes 1. Après cinq années à travailler avec ces femmes (principalement de la rue),
je crois que les femmes pourraient faire consensus et se solidariser si elles opposaient à
leurs préjugés nés des discours dominants une pleine compréhension des processus
personnels, familiaux et sociaux qui conduisent à se prostituer.
Trois types de relations sociales impliquent l’échange de sexe et les énoncer permet déjà
d’éclairer la nature de la prostitution. D’abord, la relation de couple où la sexualité
s’exprime dans un contexte de droits, devoirs, obligations et responsabilités entre les
partenaires concernés. Ensuite, la relation amant-maîtresse où la sexualité s’exprime à
travers une relation de séduction assortie aussi de responsabilités. La troisième est la
prostitution où l’échange de sexe contre de l’argent s’établit sans égard aux besoins et
aux désirs de la personne qui se prostitue, sans engagement émotif et relationnel de la
part du client, ce qui diffère et rompt avec les deux relations sociales précédentes. C’est
l’absence d’engagement qui rend la prostitution si attrayante pour l’acheteur et si
déshumanisante pour la personne qui se prostitue.
Les clients et les femmes prostituées n’ont pas le même rapport à la prostitution, ils n’ont
pas non plus le même rapport au sexe. Clients et proxénètes font dans la prostitution, la
promotion de certaines valeurs culturelles masculines où les hommes peuvent bénéficier
de services sexuels sous n’importe quelles conditions et de la façon qu’ils le veulent.
Dans la diversité de leurs visions de la prostitution, qui va de la vision économique
(simple façon de gagner de l’argent) à une vision sociale patriarcale (sans sexe les
hommes seraient potentiellement dangereux), en passant par une vision ludique (jeu,
façon de se défouler) à une vision mythique (la prostituée déesse de l’amour), la vision
économique prédomine largement. C’est aussi une vision économique que ces hommes
ont du mariage. Pour eux, une femme mariée peut être une prostituée. Jamais une telle
ambivalence entre le conjoint et le client n’existe chez les femmes prostituées. Pour elles,
1 Rose Dufour Je vous salue …. Le point zéro de la prostitution. Sainte-Foy, Éditions MultiMondes,
décembre 2004.
il n’y a pas de confusion entre la prostitution et le mariage et elles sont solidaires de leurs
unions et de leur conjoint. Ce sont souvent des mères et elles savent très bien qui sont les
pères de leurs enfants. Dans leur vision économique du mariage, les hommes sont dans le
droit, le devoir, l’obligation. Elles, dans le cadre du mariage, sont dans l’amour.
Les clients partagent plusieurs croyances dont les deux plus répandues sont que ces
femmes choisissent de se prostituer parce qu’elles aiment le sexe et sont plus chaudes que
les autres femmes (réfuté par les femmes rencontrées) et qu’elles font beaucoup d’argent
(mythe tenace bien entretenu). Ils ignorent leur destin pathétique et leur parcours de vie
tragique; ce qui les ont amenées là, leurs conséquences de se prostituer (perte de la
confiance dans les hommes, dommages sévères à leur vie sexuelle, perte du désir sexuel,
désensibilisation progressive de leur corps, dégoût des gestes sexuels, confusion sur leur
identité sexuelle, anéantissement de leur sexualité), des conditions de vie qui les amènent
à effectuer une dissociation avec elles-mêmes et une rupture affective avec les autres,
l’abondance de diagnostics médicaux, l’alcoolisme et la toxicomanie, les pensées
suicidaires, les tentatives de suicide, etc. Ces conséquences de l’exercice de la
prostitution féminine sont banalisées, niées, largement méconnues des clients et
proxénètes qui n’en subissent aucune semblable et qui ne se sentent pas concernés par ces
aspects.
Être une femme, c’est être confrontée à un rapport au sexe. Sur les 20 femmes
rencontrées, 17 (85 %) ont été sexuellement abusées alors qu’elles étaient encore enfants
et non pubères, le plus souvent à répétition, généralement dans la famille ou dans le
proche voisinage. Les trois autres (15%) ont eu à affronter un rapport au sexe comme
alternative à la pauvreté. La fille a besoin de protection. Si elle n’est pas protégée dans la
famille, à l’école, dans la communauté, dans la rue, elle est perdue. La rue peut avaler les
filles. Ma recherche a démontré que la clé des systèmes sociaux producteurs de la
prostitution se trouve d’abord dans l’abus sexuel où la petite fille, enfant, est en contact
avec quelqu’un qui a conquis sa confiance et l’abuse, à qui elle n’a pas la capacité de se
refuser parce qu’elle est seulement une enfant devant un adulte aimé. Dans cette relation,
elle ne se donne pas, elle est au service de l’autre. De la même façon, la femme prostituée
ne se donne pas, elle rend son corps disponible et se met au service de l’autre. Lorsqu’une
femme se donne réellement, elle autorise l’autre à accéder à son intimité, elle lui accorde
quelque chose de privé, ce que la personne qui se prostitue ne fait pas. Se prostituer, c’est
être un corps public, c’est ne plus avoir de corps privé.
Le choix de se prostituer n’est pas un choix individuel, c’est un choix de société car
accepter qu’une catégorie de femmes soit mise au service sexuel des hommes, c’est
rendre prostituables toutes les femmes et tous les autres êtres humains.