Conseil de presse du Québec - Comité des plaintes et de l'éthique de l'information - Décision - Numéro de dossier: D2008-10-018
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Numéro de dossier: D2008-10-018
Plaignante Mme Marie-Claude Montpetit
et
Mis-en-cause M. Claude Poirier, journaliste et animateur
M. Martin Cloutier, directeur général
L'émission "Le vrai négociateur"
Le Groupe TVA-LCN
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MONTREAL, le 19 mai /CNW Telbec/ -
RESUME DE LA PLAINTE
Mme Marie-Claude Montpetit porte plainte contre M. Claude Poirier et la
chaîne télévisée LCN. Lors de l'émission "Le vrai négociateur" du 1er octobre
2008, l'animateur aurait qualifié une personne de "chien sale". La plaignante
lui reproche d'avoir tenu des propos discriminatoires, transmis de
l'information inexacte et usé de sensationnalisme.
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
1. Mme Marie-Claude Montpetit rapporte que lors de l'édition du 1er
octobre 2008, de l'émission "Le vrai négociateur", dans le cadre
d'une émission conduite avec Me Marc Bellemare et sa cliente, Mme
Céline Moisan, l'animateur Claude Poirier a traité une troisième
personne liée au sujet de cette entrevue de "chien sale".
2. Ce faisant, M. Poirier aurait prononcé des propos discriminatoires,
transmis de l'information inexacte et usé de sensationnalisme.
COMMENTAIRES DES MIS-EN-CAUSE
Commentaires de MeVéronique Dubois, conseillère juridique
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3. La conseillère juridique précise d'abord le contexte dans lequel
l'expression contestée a été utilisée, soit celui de l'émission "Le
vrai négociateur" : "M. Poirier, dans le cadre de cette émission, a
réalisé une entrevue avec Me Bellemare, l'avocat de Madame Céline
Moisan, qui a été victime d'une agression sexuelle violente en 2001
et dont l'agresseur a été trouvé coupable et emprisonné. Mme Moisan
se bat maintenant pour empêcher que son agresseur soit libéré
conditionnellement."
4. Me Dubois poursuit : "Madame Moisan a décrit les sévices dont elle a
été victime, notamment des agressions sexuelles à plus de cinq
reprises, lesquelles ont laissé de graves séquelles. Elle a ainsi
expliqué qu'elle avait maintenant une invalidité à 85 %, des
vertèbres endommagées et qu'elle souffrait toujours d'un choc
post-traumatique. Dans ce contexte, monsieur Poirier a alors
effectivement utilisé le terme "chien sale" lorsque madame a fini de
décrire toutes les séquelles dont elle a été victime. Il a ainsi
mentionné sous forme de question "à cause de ce chien sale? "".
5. La conseillère juridique admet "que M. Poirier a effectivement
utilisé un langage coloré, lequel caractérise cependant le style de
M. Poirier qui ponctue ses propos d'expression imagée et parfois
populiste".
6. Me Dubois ajoute que, dans le cadre de l'émission "Le vrai
négociateur", M. Poirier exerce un journalisme de type
"commentaires", lequel, selon le guide des Droits et responsabilités
de la presse du Conseil de presse, accorde aux journalistes une
grande latitude dans l'expression de points de vue, commentaires et
critiques. Ainsi, selon elle, les commentaires de M. Poirier ne
contreviendraient pas, dans ce contexte, aux principes énoncés dans
le guide du Conseil.
REPLIQUE DE LA PLAIGNANTE
7. Mme Montpetit rappelle d'abord les trois manquements professionnels
qu'elle reproche aux mis-en-cause : 1) avoir prononcé et permis la
mise en ondes de propos discriminatoires et non conformes aux droits
de la presse au Québec; 2) avoir prononcé et permis la mise en ondes
de propos non conformes à l'obligation de la presse de traiter
l'information équitablement et avec équilibre; 3) avoir prononcé et
permis la mise en ondes de propos sensationnalistes.
8. En ce qui a trait à la "nature discriminatoire des propos litigieux",
la plaignante affirme d'abord que la personne visée par les propos
contestés était l'agresseur de Mme Moisan, ce qui aurait d'ailleurs
été admis par les mis-en-cause. Il s'agit donc, selon Mme Montpetit,
"d'une personne apparemment criminalisée et qui fut effectivement
condamnée par les autorités judiciaires relativement aux accusations
déposées par suite de la plainte de madame Moisan. C'est là, la
condition sociale de cette personne ou le groupe social auquel sa
condamnation l'a associé." La plaignante déplore que les propos du
journaliste "réaffirmaient non seulement ces conditions et
appartenance, mais ils laissaient aussi tendancieusement croire que
toute personne criminalisée serait un "beau chien sale"". Or, selon
elle, "la Charte des droits et libertés de la personne du Québec
prohibe ce genre d'association et de traitement" fondé notamment sur
la condition sociale.
9. En outre, selon elle, les règles établies par le Conseil de presse
réaffirment que : "Les médias et les professionnels de l'information
doivent éviter de cultiver ou d'entretenir les préjugés. Ils doivent
impérativement éviter d'utiliser, à l'endroit des personnes ou des
groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la
haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la
dignité d'une personne ou d'une catégorie de personnes en raison d'un
motif discriminatoire."
10. Ayant ensuite précisé que, selon le guide de principes du Conseil, il
n'est pas interdit à un journaliste de faire état des
caractéristiques qui différencient les personnes ou les groupes, mais
que cette mention doit être pertinente et d'intérêt public. Elle dit
ne pas concevoir en quoi les propos tenus par M. Poirier ont put être
pertinents et d'intérêt public, ou être une condition essentielle à
la compréhension de l'information.
11. Au chapitre du "traitement équitable et équilibré de l'information",
selon Mme Montpetit, même si les mis-en-cause prétendent avoir
"présenté la situation factuelle judiciaire avant de la commenter",
l'extrait de l'émission fourni en preuve démontre que, seuls les
arguments et prétentions de la partie poursuivante et de la victime
ont été mis en ondes. Pour la plaignante, l'omission de présenter
l'ensemble de la situation judiciaire a pour effet de priver le
public d'une information complète, rigoureuse et conforme aux faits
et aux événements.
12. La plaignante aborde ensuite ce qu'elle appelle "le type de
journalisme pratiqué par Claude Poirier". Elle rappelle d'abord que
"selon les mis-en-cause, Claude Poirier exercerait du journalisme de
type "commentaire", soit un style permettant l'utilisation d'un
"langage coloré" et "d'expression imagée et populiste"".
13. La plaignante répond que ce style de journalisme est également soumis
à des règles et ne peut pas servir à cautionner les abus de langage
ou toute autre forme de manquement professionnel. Après avoir rappelé
un article du Conseil concernant la latitude reconnue aux
journalistes, Mme Montpetit rappelle qu'un autre article précise ce
qui est acceptable : "Les auteurs de chroniques, de billets et de
critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et
d'exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le
vocabulaire qu'ils emploient, de donner aux événements une
signification qu'ils n'ont pas ou de laisser planer des malentendus
qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes."
14. Sur la base de cet extrait du guide Droits et responsabilités de la
presse du Conseil, la plaignante ajoute : "il semble que
l'utilisation des termes "c'te beau chien sale-là" équivaudrait plus
à un manquement, qu'à la figure de style que le représentant des mis-
en-cause tente d'accorder à Claude Poirier." Pour la plaignante,
"cette règle trouve particulièrement application dans le cas de
Claude Poirier qui utilise quotidiennement l'insulte et les
grossièretés de manière outrancière dans le cadre de ses prestations
de commentateur".
15. La plaignante termine en citant une quinzaine de décisions du Conseil
qui illustreraient ses propos.
DECISION
16. Mme Marie-Claude Montpetit reproche au journaliste M. Claude Poirier
d'avoir prononcé et permis la mise en ondes de propos
discriminatoires et non conformes au droit de la presse au Québec, de
propos non conformes à l'obligation de la presse de traiter
l'information équitablement et, enfin, de propos sensationnalistes.
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Grief 1 : propos discriminatoires
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17. Selon la plaignante, les propos du journaliste réaffirment la
condition sociale de l'agresseur ou le groupe social auquel sa
condamnation l'a associé, et laissent tendancieusement croire que
toute personne criminalisée serait un "beau chien sale".
18. Toutefois, le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP)
du Conseil indique qu'il "n'est pas interdit aux médias de faire état
des caractéristiques qui différencient les personnes ou les groupes"
à condition que cette mention soit "pertinente et d'intérêt public"
ou soit "une condition essentielle à la compréhension et à la
cohérence de l'information". DERP, p. 41
19. Le Conseil estime que, dans le présent cas, il était impossible de
présenter les raisons de l'opposition de Mme Moisan et de Me
Bellemare à la libération du prisonnier sans exposer minimalement ses
gestes et le fait qu'il avait été condamné. Rapporter le fait que
l'agresseur avait été condamné et incarcéré était donc pertinent,
nécessaire à la compréhension du sujet et d'intérêt public.
20. En ce qui a trait à l'utilisation du qualificatif de "beau chien
sale", le Conseil estime que, malgré la force de l'expression, il
s'agissait d'une réaction d'indignation en réaction aux souffrances
et aux sévices que venait de décrire la victime et non d'un jugement
visant à caractériser un ensemble de personnes. Le grief est donc
rejeté.
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Grief 2 : manque d'équilibre et d'équité
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21. Mme Montpetit reproche ensuite aux mis-en-cause d'avoir prononcé et
permis la mise en ondes de propos non conformes à l'obligation de la
presse de traiter l'information avec équilibre et équité. Selon la
plaignante, l'omission par les mis-en-cause de présenter l'ensemble
de la situation judiciaire a eu pour effet de priver le public d'une
information complète et rigoureuse, conforme aux faits et aux
événements et, par conséquent, de transmettre une information
inexacte.
22. Après examen, le Conseil constate que les entrevues diffusées ne
présentent pas la partie des faits favorables à l'agresseur.
Cependant, le Conseil considère que le sujet des entrevues de
l'animateur avec Mme Moisan et son procureur n'est pas le procès
antérieur de Richard Charlish, mais bien l'exposé des raisons qui
justifieraient actuellement de s'opposer à sa libération
conditionnelle.
23. En vertu du principe de liberté rédactionnelle reconnu dans le guide
DERP du Conseil, les mis-en-cause ont le droit de choisir le sujet de
leur entrevue et donc, leur angle de traitement journalistique : "Les
médias et les professionnels de l'information doivent être libres de
relater les événements et de les commenter sans entraves ni menaces
ou représailles. La presse n'a pas à se plier à un modèle idéologique
unique : elle peut donc choisir ses propres sujets et décider de
l'importance qu'elle entend leur accorder." DERP, p. 22
24. L'angle choisi n'étant pas le récit du procès, l'entrevue n'exigeait
pas qu'on présente l'accusation et la défense. L'individu impliqué
était déjà condamné et incarcéré. Ainsi, selon le Conseil, puisque
l'angle de traitement des entrevues avait été clairement défini au
départ par la présentation de l'animateur, il était tout à fait
légitime pour les mis-en-cause d'aborder le sujet comme ils l'ont
fait. Le grief est donc rejeté.
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Grief 3 : sensationnalisme
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25. Mme Montpetit reproche aux mis-en-cause "d'avoir prononcé et permis
la mise en ondes de propos sensationnalistes".
26. A ce propos, le guide DERP du Conseil indique : "Les médias et les
professionnels de l'information doivent traiter l'information
recueillie sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme
et à l' "information-spectacle" risque de donner lieu à une
exagération et à une interprétation abusive des faits et des
événements et, d'induire le public en erreur quant à la valeur et à
la portée réelles des informations qui lui sont transmises." DERP,
p. 22
27. Selon le Conseil, un sujet comme celui des souffrances de la victime
peut être très touchant, sans être pour autant sensationnaliste.
D'autre part, les fonctions de chroniqueur et de commentateur
appartiennent à un genre journalistique qui permet à son auteur
l'utilisation d'expressions colorées. Le Conseil observe qu'au-delà
de l'affirmer, la plaignante ne précise pas en quoi les propos de M.
Poirier ou de ses invités seraient sensationnalistes. Rien non plus,
dans l'étude du dossier, ne permet d'arriver à cette conclusion de la
plaignante. Par conséquent, le grief n'est pas retenu.
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28. Pour l'ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette la
plainte de Mme Marie-Claude Montpetit contre M. Claude Poirier,
journaliste, et la chaîne télévisée LCN.
Guy Amyot, secrétaire général
Au nom du comité des plaintes et de l'éthique de l'information